Le départ du président Ben Ali le 14
janvier 2011 a ouvert un espoir immense de liberté en Tunisie. A partir de cet
instant, le rétablissement de l’Etat de droit devient un moyen de se protéger
de l’arbitraire de la police au nom de la liberté et des droits de l’homme. La
libre expression n’est plus interdite, au contraire, elle est encouragée tandis
que le policier, lorsque qu’il veille au respect de la loi, est désormais
soumis au respect des droits fondamentaux.
Le renversement du statut du policier est complet. Les dires d’un
retraité tunisois le souligne : « Sous le régime de Ben Ali, les
policiers s’ils frappaient une personne n’étaient jamais inquiétés, jamais jugés. »
Cette impunité a même permis à certains d’entre eux de « profiter
de leur costume » en l’utilisant à des fins personnelles (1).
Ces deux éléments ont contribué au
rejet et à des forces de police par nombre de tunisiens. Ce rejet latent éclate
alors au grand jour à partir de la révolution : la liberté, la dignité et
le respect des droits de l’Homme devenant les maîtres mots, les policiers se
trouvent complètement décrédibilisés et non respectés.
Au-delà de l’irrespect des force de police s’ajoute une forme de désordre
social généré par la révolution que la police ne peut guère gérer : des
milices pro Ben Ali essayent de semer le désordre tandis que nombre de
prisonniers sortent de prison. A ce propos on peut noter comment les habitants
d’un petit quartier calme de la délégation du Bardo à Tunis sont parvenus à
protéger leur quartier eux-mêmes (2). Pour éviter tous les problèmes liés à la
délinquance (vols, etc.) des barrières ont
été installées dans les entrés du quartier, gardées par les jeunes qui ont ainsi
pris le relais de la police. Pendant la révolution cette délinquance
n’est pas qu’un simple mauvais sentiment : des motos sont volées à Tunis
(3), le Géant situé à une quinzaine
de kilomètres de Tunis est incendié à cette même époque et fait l’objet d’actes
de pillages et de vandalisme. On se rend alors compte des dommages collatéraux
générés par la révolution en termes d’insoumission à la règle de petite
délinquance.
Aujourd’hui, il est
frappant de voir combien la présence policière est forte à Tunis. Les barbelés
déroulés par l’armée au moment de la révolution pour protéger les bâtiments
officiels sont toujours en place tandis que l’on trouve des policiers dans
nombre de coins de rue, souvent armés. Cette présence a augmenté depuis la
chute de Ben Ali. Cependant
malgré le retour au calme depuis la révolution il semblerait en écoutant
certains tunisois que la petite
délinquance et l’irrespect des lois au quotidien aient clairement augmenté depuis
la fin du régime de Ben Ali (4). Les policiers dans la rue ne sont plus aussi
respectés. Il est intéressant de voir par exemple la réaction d’une femme
Tunisienne d’une quarantaine d’année face à un petit échauffourée sur la
terrasse d’un café entre des jeunes et un serveur : « Ce sont les
jeunes, ils veulent créer des problèmes pour attirer et provoquer les
policiers ».(5) Les règles de constructions immobilières ne sont plus
respectés (6) tandis que le marché noir, s’il existait déjà ne se cache plus
comme avant : il n’est pas rare de voir sur le trottoir des bidons
d’essence à vendre. L’irrespect de la loi dans les actions les plus simples de
la vie quotidienne semble s’être peu à peu banalisé.
A cela s’ajoute le nombre récurrent
et croissant de manifestions depuis la chute de Ben Ali. Régulièrement, depuis
que nous sommes arrivés à Tunis se déroulent de petites manifestations avenue
Habib Bourguiba. Les prétextes sont divers mais remettent tous en cause
l’action de l’Etat (campagne Winou el petrol, manifestation contre le chômage, manifestation
des enseignants). Il semblerait, comme l’a souligné l’ancien ministre Râfaa Ben
Achour dans un entretient qu’il nous a accordé qu’il y aie
un « déficit d’Etat » (7). L’Etat ne parvient pas à réguler complètement
les comportements.
Autre paradoxe
encore : alors que le parti Islamiste Ennahdha, apparemment plus rigoriste
a été le premier parti tunisien à l’Assemblée jusqu’en 2014, la consommation
d’alcool a très nettement augmenté depuis 2011. Cela signifie qu’une majorité relative de
tunisiens a voté pour un parti politique aux idées conservatrices au
niveau des mœurs tandis que la pratique
générale a connu une libéralisation des mœurs.
Une sorte de « barrière
mentale » par laquelle les individus se contrôlent eux même et respectent
les règles édictées par la société semble s’être affaiblie. Sans pour
autant caricaturer et exagérer cette
situation, force est de constater que ce phénomène est caractéristique d’une
situation d’anomie. En effet, une telle situation se produit lorsque les normes d’une société
sont incapables de réguler celle-ci, lorsqu’elles sont inefficientes. C’est ici
le cas : les normes légales existent et pourtant le désordre persiste.
Ainsi le déficit d’Etat
n’est pas tant dû à un affaiblissement de la force policière qu’à un changement
de mentalité. La volonté d’affirmer une liberté presque totale semble prendre
le dessus. Peut-être pourrait-on alors interpréter ces comportements comme la sortie de la servitude volontaire. « Soyez résolus à ne plus servir, et vous voilà
libres » nous disait La Boetie : n’est-ce pas ce qui est recherché
par nombre de Tunisiens ?
Notes:
Cet article a été réalisé à partir :
- de ce que nous avons pu observer
dans la ville de Tunis lors de notre enquête en Juin 2015.
-de discussions informelles que nous
avons eues avec des habitants de Tunis.
-d’entretiens plus approfondis.
(1) Entretient réalisé dans le
12/06/2015 dans le cadre de notre voyage à Tunis avec un Tunisois retraité,
habitant de la délégation du Bardo.
(2) ibid.
(3) ibid.
(4) Réflexion d’une amie Tunisienne avenue
Habib Bourguiba le 08/06/2015
(6) Affirmation de Râfaa Ben Achour
dans un entretient qu’il nous a accordé
le 13/06/2015
(7) ibid.
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